mardi 27 septembre 2011

Live in Italy (CD) – Cecilia Bartoli



Une fille dans une robe rouge immanquable qui arpente la scène, pas svelte, un sourire jusqu’aux oreilles, un regard complice aux musiciens, un clin d’œil à quelqu’un repéré dans le public et hop ! c’est parti : Agitata da due venti. (Et si vous n’êtes pas familier du classique ou du lyrique, commencez votre écoute par là ; autant être stupéfié tout de suite.) La réaction de la salle ne s’est pas faite attendre : applaudissements frénétiques, tapements des pieds, euphorie générale, une salle complètement conquise et surexcitée (un public d’opéra ? eh oui, ça peut donc être cela aussi, un public d’opéra !).

C’était la première fois que je voyais Cecilia Bartoli, c’était à la télévision dans ce programme de 1998 au Teatro Olimpico di Vicenza. Je regardais à cause du théâtre de Palladio, pas pour la chanteuse. Oui, mais voilà, je suis restée subjuguée. Pas seulement par la voix (ronde, riche, pleine de couleurs) et la technique époustouflante (comme si tout coulait tout naturellement !), il y avait autre chose, une sensation que la personnalité de Bartoli pouvait faire passer ; un mélange particulier de joie, de plaisir – plaisir à chanter, ou à vivre peut-être – et d’émotion ; quelque chose qui existe dans l’œil et la gorge de Bartoli et qui rend heureux. Cette petite magie qui produit un charme, une séduction, bien au-delà des critères communs en la matière, c’est une sensibilité, une sincérité et une vulnérabilité aussi, avec ces grands sourires pour rempart, quelque chose à fleur de peau et qui fait frissonner l’autre. C’est tout bonnement la maîtrise d’un art qui s’exprime ainsi.

Dans cette captation réalisée à Vicence, Bartoli est là toute entière. Pourtant, c’était juste avant. Avant l’album Vivaldi (mais l’agitata, c’est du Vivaldi !) et l’explosion d’un véritable phénomène. Car effectivement, un an plus tard, l’inimaginable est arrivé ; à elle, mais à nous aussi. Le talent et le travail qui parviennent au pouvoir, le génie qui s’impose, l’art qui fait plier le marketing ; on se pince. Mais c’est qu’elle est magique pour de vrai, Cecilia Bartoli. Depuis lors, il y a eu des millions de disques vendus, un public plus populaire qui se déplace, un public rajeuni même. Et pas une concession. Pas de stades, ni d’arènes, pas de mélange des genres, pas de « je m’arrange avec la partition », pas d’à peu près, ni même de « je vous sers ce que vous connaissez par cœur ». Mais du neuf ! Du neuf de deux siècles ou plus, certes ! Mais du pur, du dur, du solide. C’est du « je vais vous faire découvrir » ; c’est de l’enthousiasme, de la culture, du partage… et c’est jouissif ! Allez donc écouter son Opera proibita avec Marc Minkowski.

Ce disque « Live in Italy », conçu encore comme une ‘carte de visite’, contient une partie récital voix-piano (Thibaudet, pas moins) et une partie concert baroque avec un ensemble qui joue sur instruments anciens, et cela n’est pas caprice ou snobisme de spécialiste, c’est tout simplement que les périodes ont un son, des couleurs et que la voix de Bartoli appartient au XVIIIe siècle. C’est comme ça. Petite, colorée, agile, précise, virtuose disons-le ; elle ne passera jamais le mur du son imposé par la deuxième moitié du XIXe siècle. Son répertoire naturel est celui d’avant ; elle n’est pas faite pour dépasser les années 1830. Dans ce disque live, vous aurez donc même ce qui était une fausse piste : un petit bout de Carmen. Mais c’est en fin de concert, peut-être pour nous prouver que si elle le voulait vraiment Bartoli aussi pourrait faire comme les autres. Mais son chemin n’est pas celui-là. Alors elle vient nous prendre par la main, nous emmener dans son univers, dans la musique et la poésie, toutes deux mêlées inextricablement, et nous montrer que c’est beau. Oui finalement, peut-être seulement cela : beau.

Caroline Vatan.

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