Julius Stein, le narrateur, est majordome
général du château des princes de Hohenzollern, à Sigmaringen en Allemagne. Il
est dévoué corps et âme à sa fonction et à la famille d’aristocrates qu’il
sert. Il veille à la bonne marche du palais.
Mais en septembre 44, Hitler réquisitionne les
lieux pour y installer le gouvernement de Vichy en exil. Avec un certain
effarement, Stein regarde donc le maréchal Pétain prendre ses quartiers dans
l’auguste demeure, ainsi qu’une troupe plus ou moins hétéroclite de ministres
accompagnés de leurs épouses, leurs secrétaires, que suivent quelques
personnages au rôle trouble. Certains, persuadés de la victoire imminente du
grand Reich de mille ans qui dispose d'armes secrètes, s'affairent à préparer
le retour aux affaires sous la direction du président de Brinon, chef de la
commission gouvernementale. D'autres, comme le maréchal Pétain ou Laval,
considèrent que leur guerre est finie et se morfondent dans un état d'hébétude,
presque résignés.
Stein est obsédé par l’idée de tenir son rang et
de faire en sorte que le château conserve tout son lustre pour le jour où les
Hohenzollern reviendront. A travers le regard de Julius, le lecteur suit les
intrigues de cour, les conflits grotesques et les tentatives de renversement
des rapports de force d'autant plus vains qu'on sent la fin un peu plus proche
chaque jour. L'auteur montre la montée de l'angoisse, l’atmosphère de suspicion
généralisée qui gagne rapidement l'ensemble des occupants du château. Il nous
montre, entre autres, à quel point ces personnalités ont perdu le sens des
réalités. Enjeux de pouvoir, rivalités, faux-semblants, idéologie tonitruante
et bassesses.
Parallèlement, Pierre Assouline s'amuse à
décrire la vie des domestiques - cela fait penser au film "les Vestiges du
jour" avec Anthony Hopkins. L'auteur se penche sur les valeurs d'un milieu
pour lequel servir est le seul horizon et qui le fait avec un dévouement et une
abnégation dont les circonstances soulignent l'absurdité. Pas une seconde de
relâchement pour Julius, pas de concession à l'étiquette. Il sert des gens
qu'il n'estime pas et dont il réprouve les actes, mais le fait avec dignité et
excellence.
Et, il ne faut pas oublier également une jeune
femme, Jeanne Wolfermann, l’intendante du maréchal, qui trouble Julius et le
contraint à sortir de sa réserve. On découvre ainsi une histoire d'amour tout
en filigrane et en retenue. Mais le romancier ne se contente pas de décrire le
quotidien d’hommes célèbres qui séjournent au château. Il s'intéresse aussi à
la vie de plus de 2000 civils français expatriés dans la ville : partisans de
Vichy, collaborateurs, catholiques intégristes, intellectuels antisémites ou
escrocs, ils arrivent pour la plupart sans le sou, sont logés chez l’habitant,
errent sans fin dans la ville et cherchent, dans la plus grande confusion, à
fuir en Suisse ou ailleurs.
Parmi eux, l'auteur s'intéresse particulièrement
au Docteur Destouches, autrement dit Louis-Ferdinand Céline, l'écrivain,
pourfendeur des juifs et auteur de pamphlets antisémites, qui apparait ici
comme un pauvre hère cherchant à soulager ses semblables en achetant des
médicaments pour les malades.
Entre roman et Histoire avec un grand H, un livre passionnant et émouvant.
INTERVIEW de Pierre Assouline au sujet de son roman à découvrir ICI !
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