Le village de Neuville s'enorgueillit d'avoir vu
naître à la faveur d'un accident d'avion, l'illustre Clébac Darouin,
milliardaire américain excentrique. Tout au long de sa vie, ce mécène a inondé
de bienfaits, de présents insolites, ce petit "coin redoutablement
perdu", dont les habitants n'ont pas "une grande réputation
d'hospitalité". Mais voilà, Clébac meurt et l'ultime volonté du milliardaire
n'est pas la moins extravagante : dans son testament, ce dernier demande que
l'on bâtisse dans la commune un majestueux cimetière, grand comme une petite
ville, où chaque habitant aurait droit à un luxueux tombeau avec marbre,
toiture en ardoises vernissées, baies vitrées et vide sanitaire. Un
Père-Lachaise clinquant comme Las Vegas, avec des rues,
des places, des frontons, des moulures hollywoodiennes.
Neuville aura son cimetière selon les dernières
volontés du Clébac Daroin. Pensez bien que la vie du village va s’en trouver
toute chamboulée. Que petit à petit tout va converger vers ce lieu aussi
inattendu qu’insolite, jusqu’à en devenir une attraction pour les regards
extérieurs.
D'abord circonspects, les villageois adoptent
bientôt leurs somptueux caveaux, jusqu'à y prendre leurs quartiers avant
l'heure. D'autant que cette proximité quotidienne de la mort n'est pas sans
effet sur la libido des Neuvillois - à commencer par la veuve Pneu et du père
Fricoteau, jamais aussi lubrique qu'à l'heure de la sieste. Ou du pauvre
Balthazar, père d'une jolie majorette et contraint à l'inceste par tradition
familiale. Croyez moi c’est un pur bonheur que de partager les aventures du
Napoléon Beloeil et de la veuve Dorval, du René Vendrèche, l'idiot du village,
tout juste nommé maire par intérim et de toute une galerie de personnages plus
cocasses les uns que les autres. L'intrigue fait un bond quand Anne-Marie
Mingue, superbe présentatrice de la télé (qui ne recule devant aucun sacrifice
pour obtenir un scoop), entend faire pénétrer les caméras dans le cimetière
rigoureusement interdit aux curiosités étrangères.
Veuves lubriques, idiots de villages aux
citations homériques, incestueux de père en fils… D’aventures en
rebondissements, de rebondissements en dénouements, ce « testament américain »
est un pur régal d’ironie, de roublardise et de drôlerie qui passe en revue
tous nos travers, voire nos perversions. La faune du village est pittoresque,
portée sur les gaillardises de tout bord parfois crues sans être vulgaires. Comme
une fable désopilante et caustique
de notre monde moderne.
Fort d’un scénario aussi farfelu qu'improbable, Franz
Bartelt va nous entraîner dans une sorte de comédie humaine aussi surprenante
que drôle, irrespectueuse, irrévérencieuse.
Il y a du Marcel Aymé dans ce nouveau roman,
celui burlesque et égrillard de 'La
Jument verte', mais on pense aussi à un Clochemerle avec des tirades à la Michel Audiard.
Y’a pas à dire, Bartelt me fait
rire. Il manie les mots et les situations comme personne. Son talent n'est
jamais aussi flagrant que lorsqu'il s'attaque à la province et ses
institutions, ses mesquineries lourdes et ses mœurs légères.
Pour chasser la morosité !
______________________
De Franz Bartelt, nous avons aussi: